The Rise and Fall of D.O.D.O de Neal STEPHENSON & Nicole GALLAND

The Rise and Fall of D.O.D.O (2017)

Neal Stephenson & Nicole Galland - The Rise and Fall of D.O.D.OPour les vacances, je me suis attaqué à un des pavés (+ de 750 pages) de Neal Stephenson, co-écrit avec Nicole Galland. Un récit fort plaisant et plein de malices avec de la sorcellerie et des voyages dans le temps!

Intrigue: Mélisande Stokes, linguiste en langues anciennes à Harvard, se voit proposer un job en or au sein d'une organisation gouvernementale ultra-secrète. Dans la plus grande confidentialité, elle étudie et déchiffre des textes sur la sorcellerie et la possibilité de voyager dans le temps, phénomènes qui semblent avoir pris fin au beau milieu du XIXème siècle, avant la révolution industrielle.
Avec Tristan Lyons, son officier de contact, ils découvrent en fait que la magie a été annihilé avec la création de la photographie; évènement ayant mis fin à un des principes de la physique quantique liée à l'altération de la réduction du paquet d'onde. Pour faire revivre la vraie magie, ils doivent créer une sorte de cage à faraday, où tel le chat de Schrödinger, un individu peut se trouver à la fois dans 2 états, dans 2 lieux et espace-temps radicalement différents.

A la recherche de scientifiques pour réaliser cette machine, Mélisande est interpellée par la mystérieuse Erszebet, qui se dit sorcière et prétend l'avoir contacté en 1851, pour venir l'aider à faire revivre la magie et la possibilité de voyager dans le temps.

Au sein du Département des Opérations Diachroniques, appelé D.O.D.O., les voilà à braver les cycles du temps pour rencontrer d'autres sorcières et découvrir de grands secrets bien gardés. Mais ces voyages dans le passé apportent leurs lots de complications et d'aventures, empêchant tout changement "radical". Toutefois, ils découvrent que le cours du temps devient malléable: de nombreuses possibilités s'offrent au département qui devient de plus en plus important et stratégique aux yeux du gouvernement.
Et si le gouvernement avait d'autre desseins, ou bien même les sorcières elles-mêmes, enclin à faire perdurer leur savoir-faire ancestral au delà de ces cages à faraday?

Remarque: lu en anglais
Titre français: Non encore édité (fin 2023)
Ma note: ma note
Ma critique:...



Un peu refroidi par les deux derniers romans lu de Neal Stephenson (Choc Terminal et Fall), je me suis laissé tenté pour ces vacances de noël et bien m'en a fait: un joli petit délire mêlant sorcellerie et voyage dans le temps, avec un exercice de style original: celui de la compilation de documents: extraits de journaux intimes, rapports confidentiels, mémos, extraits de conversation dans le tchat privé du département, retranscription d'interviews, etc. C'est en fait toutes les informations glanées susceptibles pour comprendre la naissance, l'essor, l'apogée et la chute de ce département hors du commun.

L'entame commence donc par le récit "diachronique" de Mélisande Stokes, bloquée en 1851, à quelques jours avant que la magie prenne fin. Par cette lettre, elle raconte son histoire et veut alerter ses collègues d'une menace qui guette le département tout entier, et l'avenir de l'humanité. On apprend donc comment elle a été approchée, et qu'avec Tristan Lyons, l'officier en charge des opérations du département, comment il était possible aux sorcières de déplacer objets, animaux et humains dans différents lieux et temps, avant que ces dernières découvrent leur pouvoir s'amenuiser assez rapidement pour disparaitre complètement le jour où la première éclipse du soleil a été prise en photographie. Belle imagination des 2 auteurs américains avec un fondement physique plausible, ou du moins, relatif! En effet, ils sont partis du principe de la physique quantique, celui de la réduction du paquet d'onde, plus connu sous le nom de l'expérience du Chat de Schrödinger, où le chat peut être à la fois mort et vivant. Cette "incertitude" quantique repose sur l'observation, et tant que l'observation n'est pas déterminée, la possibilité d'univers multi-dimensionnelle demeure. Et ce n'est qu'avec l'apparition de la photographie avec des prises de vue du grands paysages ou du soleil par exemple, que cela a cassé la possibilité aux sorcières d'altérer la réalité, puisque l'observation stellaire est désormais figée dans les rétines des appareils photos.
Le premier tiers se dévore tout seul: tout comme Mélisande, on est séduit par l'idée du voyage dans le temps sans également tout envisager des conséquences. Et son premier voyage dans le temps est un également une subtile farce bien déjantée.

Voyage et conséquences

Neal STEPHENSON & Nicole GALLAND ont eu l'idée géniale d'éviter de tomber dans les paradoxes temporels avec 3 règles simples: impossibilité de voyager après 1851 (et donc de rencontrer son double), impossibilité de provoquer un changement trop important (tuer un roi) sous peine de provoquer une déchirure temporelle et la fin de toute personne à proximité, et enfin celle qu'une action doit être répétée plusieurs fois afin qu'elle puisse perdurer! C'est ce dernier stratagème qui rend la lecture autant captivante que rébarbative. Pour sa première expédition, Mélisande doit effectuer 4 fois la même opération, et qui nécessite une opération antérieure pour éviter d'autres désagréments. Les actions du départements DODO (Department Of Diachronical Operations) doivent donc être réfléchies et documentées et les complications engendrées peuvent faire prendre peur au lecteur une certaine répétition du récit, et une intrigue qui s'éparpille. Et quand on connait la propension de Neal Stephenson de partir dans tous les sens, d'étaler sa science, j'ai eu quelques doutes, surtout quand on découvre qu'il envoie son héros à Constantinople au début du XIIIème siècle, en pleine croisade!
Mais rassurez-vous, malgré cette petite faiblesse au beau milieu du livre, les personnages et l'intrigue générale sont captivants, on dépasse sans peine ces contre-temps et escapade dans ce passé lointain. C'est que chaque voyage dans un nouvel espace temps permet au département de recruter de nouveaux personnages, (des sorcières principalement) qui vont provoqué peu à peu, la perte de repère des objectifs de cette entité gouvernementale ultra-secrète.

Objectifs, hiérarchies et moyens

La croissance du Département des Opérations Diachroniques ressemble à celui d'une start-up devenue licorne bien trop vite: à chacun à sa place avec trop d'opérations à mener, et une perte de temps dans les reportings, lus par des supérieurs hiérarchiques qui ne comprennent pas trop ce qui se passe et qui se contentent de "chiffres parlants" pour se faire mousser. Le gouvernement américain peut-être ainsi perçu comme des Business Angels qui demandent des contreparties opérationnelles et des résultats, et que ces objectifs sont cachés et bien loin des préoccupations des chercheurs (Mélisande et le professeur Oda, en charge du transporteur quantique). L'arrivée de la RH avec son règlement intérieur sur le politiquement correct (on ne peut dénommer une sorcière comme telle!) est très bien vue. Un vrai délice managérial kafkaïen ou au final, le sens des mots perdent peu à peu leur sens.
La deuxième partie du livre est également plus hachée, du fait du nombre de personnages intervenant, mais aussi l'exercice de style auquel se sont livrés les 2 auteurs: c'est un rapport factuel qui nous est présentés, avec donc des documents historiques (conversations épistolaires, légendes, chansons et poèmes à la gloire d'évènements ou de héros sortis d'on ne sais-ou, qui ressemble étrangement au héros Tristan Lyons et ses acolytes), des retranscriptions d'interviews et de caméra de sécurité et une tonne d'extraits d'emails et d'échanges de communication, des rapports et mémos (même d'un powerpoint) entre les personnes dirigeants du département, démontrant ainsi parfois l'absurdité des courriers internes où la communication face à face, non-verbale n'a plus lieu.

Un final rocambolesque

La dernière partie du livre et une grande tranche de rigolade et de suspens. Cela commence avec la soirée d'Halloween, fort amusante, où on comprend que cette soirée spéciale pour les sorcières va être le début de la fin pour l'organisation. Et c'est vraiment la débâcle quand une recrue, venue du passé, décide de repartir dans un autre passé, celle de l'ère des vikings, pour revenir en force avec une troupe d'énergumènes pour saccager un Walmart: scène totalement surréaliste et jubilatoire (comme le poème décrivant cet exploit). Le suspens est double: celui du plan des sorcières à retarder au maximum l'invention de la photographie; et d'autre part, l'avenir incertain de Mélisande, renvoyée en 1851, à quelques jours avant la fin fatidique de la magie.
A quelques pages de la fin, on ne sait toujours pas ce qu'il en est, et ce rapport que nous lisons, reprend sa diachronie, nous laisse croire que Mélisande est restée dans le passé, et qu'en tous les cas cette compilation d'écrits est donc quelques part une version de la réalité, ou d'une des réalités, sauvegardée. On ne sait pas qui l'a compilé, ni où il a été sauvegardé, à part le titre expliquant clairement que le projet a fini en pur débâcle. Un peu comme dans "Inception", il y a ce doute existentiel pour savoir dans quel réel nous sommes: la rapport a-t-il été sauvegardé dans l'un des portails quantiques, et raconte donc une ancienne réalité où les formes trapézoïdales sont devenues pentagoniques? En tous les cas, c'est bien le témoignage d'un échec d'un département qui a joué avec les feux du temps: la fin laisse un peu sur sa fin et laisse une suite qui pourrait ne jamais finir, mais après coup, je trouve ce finla bien vu.

A quand une adaptation en série télévisée?

La multitude d'idées foisonnantes inscrites dans ce long récit (plus de 750 pages) est un magnifique terreau de ce qui pourrait être une super série-télé. Il y a de quoi en faire plusieurs saisons, et mêmes des spin-offs. Il y a évidemment le mystère sur les pouvoirs des sorcières, sujet qui revient à la mode ces temps-ci. Les caractères très tranchés d'Erzebet et de Grainne dénotent. Elles ont leur intégrité et leur aura mystérieuse qui sont très télégéniques.
D'autre part, il y a cette idée géniale d'interférer avec la grande Histoire, un peu comme la série culte de la fin des années 60 "Au cœur du temps", où les héros voyageaient sans cesse dans le passé pour corriger (en vain) ou limiter les effets néfastes de grands évènements passés. Certains faits secondaires peuvent avoir leur répercussions, comme les 2 auteurs le prétendent sur le dénouement de la bataille de Constantinople.
Ajoutez-y également la guilde des banquiers qui semblent agir en parallèle depuis la nuit des temps, avec un dessein également caché, et sans parler des luttes internes et trahisons menés au sein du gouvernement, sans parler de l'enjeu naturel des sorcières à vouloir empêcher la création de la photographie.
Pour couronner le tout, il ne faut pas oublier l'aspect complotiste facile à intégrer: les gens au présent constatent des faits historiques qui deviennent floues ou étranges, contraires à ceux que leur inconscient leur dit, que certains récits peuvent passer outre, comme ceux qui restent sauvegardés dans les portails quantiques. Seuls ceux partis dans le passé et qui reviennent dans un présent amendé, sont témoins de ces changement.
Bref, avec une bonne équipe de scénaristes, il y a tellement de bon matériel (personnages, intrigue générale, sorcellerie, voyage dans le temps, faits historiques, dystopies, etc.) que cela ferait une super série télévisée aux intrigues multiples. Fort à parier que Nicole GALLAND avait eu cette idée de prolonger la vie du département, si le livre avait connu un plus large succès.

Références



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