Les bienveillantes de Jonathan Littell
Par Serial Joker le mardi 7 novembre 2006, 09:25 - Média - Lien permanent
Ca y est! Je suis venu à bout de ce kilo de papier avec ses deux millions et demi de caractères!!!
Un bon mois avec quelques aller-retours paris/Lyon m'auront bien aidé pour lire ce pavé et le lendemain même où je ferme définitivement ce livre, j'apprends que Jonathan Littell a reçu le prix Goncourt!
Bravo! Je crois même que c'est mon premier prix Goncourt que je lis, et cela me fait très plaisir de voir qu'un américain, vivant en Espagne, écrivant en français, décroche cette récompense...
Vive la mondialisation culturelle!
Ma note:
Ma critique:
Bon, par où commencer pour parler de ce livre?
S'attaquer à un tel pavé, 900 pages avec une typographie bien dense et une absence importante de paragraphes (à la Proust), est un peu difficile car cette oeuvre est colossale: de par sa taille, son sujet et par les précisions anecdotiques sur ce détail de l'histoire. ;-)
Le style est particulier: ce n'est pas des mémoires d'un bourreau, non, c'est une extraction en temps réél faite depuis le cerveau de cet ancien Waffen SS qui se remémore sa guerre, où il nous compte comment il l'a traversée dans la plus grande adversité.
Cette oeuvre est donc à la fois un récit épique, une fresque, une oeuvre picaresque et une fausse autobiographie hyper documenté sur cette machine infernale voulant la destruction de l'Homme.
Aux premières pages, on est un peu destabilisé car d'une part, le style utilisé de l'auteur (c'est à la 1ere personne) dérange un peu (il nous parle comme si nous étions un proche), et d'autre part par le ton de l'auteur qui ne regrette rien de ce qu'il a fait. D'une certaine manière, il en fait presque une apologie du Nazisme (un lecteur qui s'arrêtera à ces pages en sera horrifié... bien entendu). Mais il faut aller plus loin, ne pas juger un livre à sa couverture, ni à ses 5 premières pages.
Quand je parle d'apologie du Nazisme, c'est aux yeux de Maximilien Aue, le héros de ce livre. Mais attention, il ne fait pas l'apologie de la solution finale, qui reste à ses yeux une erreur, (c'est selon lui une perte de temps d'éradiquer ses ennemis les plus innoffensifs), mais bel et bien de la doctrine politique du National Socialisme.
Le héros, est en effet, un nazi convaincu, persuadé que le Volk vaincra contre tous les ennemis de la Grande Allemagne. Il obéit aux visions d'Hitler, sachant qu'il ne comprend pas tout au funeste destin qu'Hitler souhaite faire partager à toutes les populations sous son joug.
Les 100 premières pages du livre sont assez plaisantes et intéressantes à lire. L'auteur nous fait découvrir l'omniprésence de la propagande nazi et qu'il est impératif de penser comme le parti si on veut réussir, et pour ne pas être au final un ennemi du peuple.
C'est donc dans ce contexte que ce cher Maximilien Aue se voit nommé Waffen SS, alors qu'il a toutes les tares que le Nazisme déteste: c'est un intellectuel, homosexuel et incestueux. Jonathan Littell nous mène donc au délà de la normalité dans l'univers du mal. L'auteur joue avec les tares et les défauts de son héros, ses perversités, ses hyprocrisies et ses grandes certitudes sur le monde. Il nous plonge dans l'ambiguité totale avec d'une part une identification facile à son personnage (utilisation de la 1ère personne, origine française de l'héros, son intelligence et son attitude amusée de ses collègues du parti, ) et d'autre part via la mise en avant des tares extrêmes de son héros (incestueux, obsédé et paricide). Malgré ses défauts, Maximilen Aue serait presque comme vous et moi, et tout porte à croire que nous aurions pu tous terminer comme lui, embarqué dans la folie de l'histoire.
L'autre force du livre est sa multitudes de détails et d'anecdotes sur l'histoire de l'Allemagne durant la Deuxième Guerre Mondiale. C'est un parfait complément à tous nos livres d'Histoire pour bien comprendre comment ils en sont arrivés là: la défaite de la Grande Guerre, la crise des années 30, la peur du communisme, exacerbés par la propagande anti-juive d'Hitler, où les juifs sont devenus les boucs emmisaires de tous les maux de la société allemande de l'époque.
On y découvre donc des détails surprenants, difficile à croire et pourtant véridiques. Par exemple, quand on charge Maximilien Aue de trouver 2000 juifs pour les fusiller, il ne sait pas comment faire, jusqu'à un de ses collègues lui dise de mettre des affiches pour leur donner rendez-vous à tel lieu... Et en effet, toutes les premières rafles juives ont été faites de la sorte. On en ressort également frappé par la campagne de Russie des nazis, qui a été particulièrement meurtrière envers la population locale (en rien comparable avec ce qu'a connu la France), d'autant plus que les premiers massacres de juifs se faisaient au fusil: c'est ainsi que la prise de Kiev s'est soldé par le massacre de plus de 33.000 juifs.
Le coeur du livre est la campagne de Russie par les nazis, avec son paroxisme: la bataille de Stalingrad où l'héros imaginaire de Jonathan Litell en sort miraculeusement, parmi les derniers blessés évacués. Ensuite, c'est une découverte dans la bureaucratie de l'horreur, où Maxilien monte peu à peu les échelons administratifs pour nous faire découvrir toute l'étendue de cette machine à tuer l'Homme.
Pour conclure, je crois qu'il faut féliciter le travail jusqu'au boutiste de Jonathan Littell. D'une part par le travail préliminaire énorme qu'il a dû faire, et d'autre part dans l'incarnation dans son personnage, en écrivant notamment comme les écrivains de la belle époque (Maximilien Aue est avant tout un intellectuel, amoureux des belles Lettres françaises).
Certes, une telle oeuvre ne peut déclencher que la polémique et il en est difficile de juger les pours et les contres. Quoiqu'il en soit, le mérite ultime de ce livre est de nous rappeler que le nazisme n'était pas inhumain, car ce sont des hommes, comme vous et moi, qui ont mené et dirigé cette machine à tuer.
Et ça, il ne faut pas l'oublier si l'on veut que cela ne se répète pas.
Commentaires
Je comprends donc mieux pourquoi Yann Moix avait descendu les Bienveillantes... Oui, pour lui, même à 30 ans, CA ne pouvait pas exister!