Anatèm de Neal STEPHENSON

Anatèm (2008)

Neal STEPHENSON - AnatèmAprès l'énorme Cryptonomicon, je me suis attaqué à l'étrange Anatèm, entre fantasy et science-fiction.
Intrigue: Dans un avenir lointain et sur une planète cousine de la Terre, appelée Arbre, les humanoïdes abriens ont fini par sanctuariser leurs savants et philosophes dans des sortes de monastères, afin que toute découverte importante reste théorique et ne tombe entre de mauvaises mains. Toutefois, tous les dix, cent et milles ans, ces "mynstères" de la raison pure, s'ouvrent au monde pour quelques jours et constatent la bonne évolution du reste de la civilisation.
A quelques semaines de la prochaine ouverture, le jeune chercheur Fraa Érasmas se trouve confronté à une énigme astronomique qui n'engage rien de moins qu'à l'intégrité de toute sa congrégation. Ce mystère va l'obliger à partir à la poursuite de son mentor Fraa Orolo et vivre l'aventure de sa vie, et découvrir le subtile équilibre entre les gens du dehors, et ses confrères du dedans.
Sa quête sera également spirituelle, le menant à découvrir la dernière pièce du puzzle qui pourrait remettre en cause l'existence même de ces "sanctuaires du savoir", mais également celle de toute sa planète entière.

Remarque: "lu" en audiobook
Ma note: ma note
Ma critique:...



Neal Stephenson est un auteur de science-fiction dans la lignée d'un Frank Herbert, d'un J.J.R Tolkien ou George H.R Martin: il écrit des pavés (souvent au-dessus des 1000 pages!). La seule différence est qu'il aime changer de saga, d'époque et même d'univers. Dans ce roman fleuve de science-fiction, il flirte avec l'épic fantasy en s'inspirant de l'univers monastique du "Nom de la Rose" d'Umberto Eco, projeté dans un avenir où les évolutions technologiques sont redoutées pour le mal qu'elles ont causé (cataclysmes et guerres nucléaire).
C'est ainsi que les savants ont été sanctuarisés, afin que leurs découvertes restent théoriques et qu'ils prennent le temps à étudier tous les tenants et aboutissant d'un savoir, pouvant aider le rester de leur humanité.

Des termes et des sujets pas si faciles à appréhender

Par rapport à la version orginale, la version française est décomposée en deux tomes, où la première se concentre sur l'émancipation du jeune Fraa (frère) Érasmas, où il découvre, d'une part, le monde réel qui entoure son "Mynstère", et de l'autre, un étrange signe dans les cieux, qui semble avoir été la cause de l'éviction de son mentor Fraa Orolo. Le deuxième tome se concentre quant à lui sur sa quête et son aventure par delà Arbre et au-delà. Les 2 tomes ont cette continuité dans la quête du savoir et de ces sempiternelles discussions savantes et très théoriques.
Car tout comme à son habitude, l'auteur américain tartine son roman de son éminent savoir technique, philosophique, linguistique, quantique, et métaphysique. Tous ses personnages principaux sont des Fraa et des Soors (frères et sœurs) qui n'ont qu'une seule préoccupation: étudier et réfléchir sur le monde. A cette fin, l'auteur a créé une ribambelle de termes et d'expression assez anachronique, rappelant l'austérité monastique qui refuse de voir les gadgets du monde moderne. Encore bravo au traducteur Jacques Collin, qui a su parfaitement inventer les bons mots pour décrire cet univers particulier.
Du fait de ces nombreux néologismes d'un autre temps, le début du livre est donc assez exigeant pour les appréhender, ainsi que sur l'univers dogmatique autour de ces gardiens de la connaissance. On a du mal à s'y imprégner, de comprendre leur raison d'être et ce n'est qu'au bout du premier tiers qu'on commence enfin à se familiariser et comprendre l'utilité de ces "mynstères". Je suis bien heureux de n'avoir pas attaqué ce pavé dans la langue d'origine. Rien qu'en français, j'avoue avoir été circonspect à continuer au bout de quelques pages, sachant le millier d'autres suivantes. Il faut tenir bon!
Neal Stephenson a un don remarquable de nous embarquer dans cette histoire alambiquée et ces discours métaphysiques. Il y a d'une part cet humour malicieux, et d'autre part ce don pour éveiller notre intellect, et même si on comprend peu les quelques théories quantiques (dont la théorie des multivers de Hugh Everett), on apprend en s'amusant. Et les dissertations sous formes de discours entre les maîtres et leurs élèves sont tout autant passionnantes que déroutantes. Et question discussions philosophiques, qu'est-ce qu'il y en a! On atteint le paroxysme dans le tome 2 lors des dîners (cénacles) avec ces discours sur la pluralité des mondes et de la vision de ce que l'on en fait. On s'y perd en conjoncture et le diable d'écrivain nous éconduit de la plus belle des manières: Il essaye de flatter notre érudition (jusqu'à la lie) pour cacher l'essence-même de ce roman de science-fiction: un vrai coup de théâtre comme on les aime, que je ne puisse dévoiler, sous peine de gâcher votre plaisir à lire cet excellent roman.

Arbre, une vue déformée de notre monde?

Le parallèle avec notre bonne vielle terre est fort amusant. Jusqu'au trois quart du livre, on se demande même si Arbre ne serait finalement une projection de la Terre, mais rassurez-vous, non (et je ne vous gâcherai pas le plaisir en vous disant pourquoi: il faudra arriver jusque là). Arbre a en effet une histoire de plus 3000 ans d'avance sur nous, mais les 3 cataclysmes apocalyptiques, ces 3 remises à zéro, qu'elle a vécu ont fait qu'Arbre se retrouve finalement à peu de chose près au même niveau technologique et intellectuel que nous, à ceci près qu'elle a l'expérience de ses erreurs passées. En fait, il faut comprendre qu'à l'extérieur de ces cloaques du savoir, le monde normal vit dans l'aisance technologique (voire une certaine ignorance) proche de la dévolution. Ils ne savent plus pourquoi et comment sont fait ces artefacts techniques et autres gadgets, et ne cherchent plus à les améliorer, du fait qu'ils remplissent parfaitement leur fonction: leur faciliter la vie.
Cette dualité du savoir, où d'un côté les savants ont le savoir théorique, mais sans aucun moyen de le rendre pratique, et de l'autre, l'inverse, est fort intéressant. Comme en témoigne notre histoire récente, le danger de notre humanité est cette tentation à travestir le savoir pour contrôler et annihiler nos semblables. Et ce monde imaginaire décrit par l'auteur américain semble armer pour perdurer. Et c'est là qu'intervient le génie de l'auteur: son monde factice, qui semble en mode "pause", est-il prêt à survivre à la plus grande découverte de tous les temps, à la remise en cause même de sa raison d'être et de son futur? Pour cela, il faudra vous empiffrer d'un bon millier de pages avant d'avaler d'une traite les 200 dernières.

Une fin à couper le souffle

La fin de ce pavé est tonitruante, et on aimerait quelque part retrouver la certaine lenteur du début, tant ce monde sylvestre est devenu nôtre. Neal Stephenson a réussi un pari insensé de nous offrir un voyage au delà de la raison pure, dans un monde imaginaire avec quelques bribes de Fantasy et remplies de néologismes anachroniques malicieux, pour nous ouvrir les yeux comment gérer le jour où nous... (ah désolé, je ne veux rien gâcher de votre plaisir à lire ce roman!). Bonne lecture à tous, soyez patient et ne vous prenez pas trop la tête sur les scènes des cénacles: le jeu en vaut la chandelle et encore félicitations au traducteur Jacques Collin pour son énorme travail!

Références


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