Gérald BRONNER - Apocalypse Cognitive
Par Fred PARESY le samedi 13 novembre 2021, 18:27 - Média - Lien permanent
Un petit essai fort intéressant sur les conséquences de la révolution numérique, pour le meilleur mais aussi pour le pire. Il est grand temps de comprendre comment nous réagissons face à la tentation des écrans, et à la soumission des algorithmes.
Sujet: La situation est inédite. Jamais, dans l'histoire de l’humanité, nous n'avons disposé d'autant d'informations et jamais nous n'avons eu autant de temps libre pour y puiser loisir et connaissance du monde. Nos prédécesseurs en avaient rêvé: la science et la technologie libéreraient l'humanité. Mais ce rêve risque désormais de tourner au cauchemar. Le déferlement d’informations a entraîné une concurrence généralisée de toutes les idées, une dérégulation du "marché cognitif" qui a une fâcheuse conséquence: capter, souvent pour le pire, le précieux trésor de notre attention. Nos esprits subissent l’envoûtement des écrans et s'abandonnent aux mille visages de la déraison.
Victime de ce pillage en règle, notre esprit se trouve au cœur d'un enjeu dont dépend notre avenir. Et de la façon dont nous réagirons dépendront les possibilités d'échapper à ce qu'il faut bien appeler une menace civilisationnelle.
Ma note:
Ma critique:…
Voici un des livres les plus intéressants du moment, avec son titre aguicheur nous donnant l'impression que notre rationalité est au bord du gouffre, Gérald BRONNER nous rappelle, en fait, à la première définition de ce mot, à savoir la révélation. Nous sommes en effet face à un "tournant civilisationnel" où d'une part l'humain n'a jamais eu autant de temps libre "à soi" et d'autre part, jamais il n'a été autant captivé par la tentation des écrans.
Et c'est sur cette révélation que le sociologue nous informe sur les dangers de notre propension à nous divertir bêtement, diversion accentuée par les algorithmes et les astuces du marketing digital qui jouent sur nos inconscientes faiblesses.
Enfin du temps à soi
Dans l'histoire de l'humanité, ce n'est donc que depuis très peu (quelques dizaines d'années) que notre condition s'est totalement libéré des besoins physiologiques de la pyramide des Maslow. Nous ne perdons plus de temps à satisfaire nos besoins de bases et le confort moderne avec les progrès de la domotique nous offrent un gain de temps précieux dans les tâches ménagères.
En finalité, nous nous retrouvons avec d'immenses plages de temps libres par rapport à nos ancêtres, et nous passons ce temps libres face aux écrans, qui ont ce don de nous émerveiller et de nous aider à tuer tout ce temps libre.
Face à tout ce temps de cerveau disponible, on pourrait croire que notre soif de savoir et découvertes prend le dessus, mais le sociologue nous démontre, avec divers synthèses d'études à l'appui, que notre inconscient aime que l'on s'égare dans le facile et l'incongru. On a beau dire j'aime regarder Arte ou bien je regarderai cette émission scientifique ou littéraire, en finalité, nous avons plus de chance à finir par "swiper" (zapper) sur différents contenus proposés par les réseaux sociaux, où bien le programme télé le plus lénifiant.
Ce trop grand choix de possibilité ne nous élève pas, bien au contraire. La nature humaine est ainsi faite, et le sociologue nous explique que nous sommes victimes de cette logique du marché: celle de satisfaire la plus grande demande.
Une propension à la médiocrité commune
Nous trébuchons nous même dans cette médiocrité commune qui nous fait souvent dire qu'un pouvoir suprême nous abêtie pour mieux nous contrôler. Les complotistes trouveront toujours leur bonheur dans des actions délibérés des programmes télé, et depuis peu, les algorithmes. Les astuces du marketing digitales savent parfaitement flatter nos plus bas instincts, et désormais, on trouve des psychologues et spécialistes du comportement humain dans la réalisation et la mise en place de contenu éditorial, de création de jeu et dans l'ergonomie des applications. Les algorithmes n'en sont qu'une industrialisation à grande échelle de cette bataille à promouvoir le meilleur récit, la meilleure image, la meilleure vidéo, qui nous fera cliquer toujours plus; et comme s'amuse à dire l'auteur, vous ne devinerez jamais de quoi ce livre va vous présenter et mettre en avant les 10 choses à savoir. Et fort à parier que la septième va vous étonner!
Le clic, un plaisir sucré hautement addictif et rémunéré
Les réseaux sociaux vivent de la publicité et du profiling de nos envies (conscientes ou non) et c'est un cercle vicieux. Ils doivent nous tenter pour savoir ce que l'on aime, afin de vendre au plus cher une publicité correspondant au mieux à notre profil, et ils doivent tout faire pour vous garder connecté le plus longtemps possible. Le marketing digital n'a qu'un seul but, celui de créer le buzz, de capter notre attention et braquer notre cerveau sur des clics, tweets et messages compulsifs, qui engendreront d'autres clics, tweets et messages… Un cercle vicieux qui a pour effet de créer un effet "bulle"; nous faisant sortir de notre rationalité, où du moins de toute relativité. Les réseaux sociaux éditorialisent notre monde, le rendant ainsi unique et totalement dépendant à nos besoins de reconnaissances et d'épanouissement. Les réseaux visent le sommet de la pyramide de Maslow et nous place en haut d'un piédestal jamais atteint: du haut de cette pyramide, tout Internet me contemple...
Ces contenus web sont comme du sucre pour les enfants, et pour votre cerveau. Très vite, nous aimerions ne manger que cela, et c'est bel et bien là le danger. Sans une vraie nourriture, notre cerveau se liquéfie et s'affaiblie dès que nous devons digérer un contenu plus poussé. C'est exactement comme les aliments ultra-transformés, produits les moins chers et les plus facilement assimilés par l'organisme. Ces aliments bon marchés rendent ainsi les populations les pauvres en surpoids du fait que la digestion se fait bien trop vite et que l'état de satiété n'est jamais atteint. Et c'est le danger le plus sérieux des réseaux sociaux qui ont pour seul intérêt que l'on continue de cliquer, à tout prix. Nous ne grandissons plus, nous nous gavons d'une nourriture directement assimilée, nous nous liquéfions et nous nous enfermons dans une bulle égocentrique où l'on a l'impression d'être au centre du monde.
La tentation du vide
Dans la deuxième partie du livre, Gérald BRONNER nous dévoile des strates plus complexes de nos comportements et du comment nous devrions lutter contre les viles agissements des algorithmes jouant sur les effets de masses. La désintermédiation de la connaissance et la dérégulation du marché cognitif est devenu un enjeu majeur et l'on voit bien le pouvoir de toutes ces "infox" (fake news!) et cette recrue d'essence des complots. Notre fascination pour le négatif est l'un des capteurs d'attention le plus fort. Rien n'y fait, nous aimons à nous faire peur, et là, aussi nous tombons dans notre propre piège de curiosité, et malgré notre méfiance initiale nous succombons à la fascination de propos "bien trop vrais pour être faux", parfaitement mis en scène dans une focale où nous voyons une réalité déformée, comme on souhaiterait qu'elle soit.
Eviter la tentation par l'éducation
La question finale que pose se livre est de savoir comment éviter de tomber dans ces pièges? Les solutions que propose le sociologue sont un peu radicales mais on voit bien que certains pays le font déjà: les pays nordiques incitent à couper la télévision et les écrans au moins une fois par semaine. La Chine, pays hautement démocratique :) qui a toujours su favoriser l'interêt et "l'excellence" de sa masse populaire par rapport à celle de ses individus, met en place également des coupures drastiques des réseaux sociaux en pleines semaines et pour sa population la plus jeune. Les quelques exemples que nous expose le professeur font en effet froid dans le dos. Il faut que l'on apprenne vite à se déconnecter. Et ce sont nos enfants les proies inconscientes de ce danger qui les guette. A nous de réapprendre à se reconnecter à la réalité et à la relative banalité de notre existence: notre esprit a besoin de se reposer. C'est en phase de repos que notre inconscient prend le dessus et trouve des chemins cognitifs qui nous permettent de nous dépasser, et de créer un monde meilleur.
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